Il a eu plusieurs vies, l'écossais. Et pourtant dans toutes ces vies, on ne lui aura jamais retiré son identité, sa particularité ; c'est un écossais fier. Il avait horreur qu'on l'appelle le British à son arrivée aux Etats-Unis puis il a vite compris que pour ces abrutis, Ecossais et Anglais, c'était la même chose. Qu'ils n'étaient de toute façon pas foutu de placer le Royaume-Uni sur une putain de carte alors l'Ecosse ?

C'est un immigré. Il a déménagé pour sa capricieuse de femme. Il se voyait bien faire sa vie en Ecosse, avoir une putain de grosse famille, avec cinq à dix gosses, comme lui et sa propre famille, comme la famille de son épouse, des familles nombreuses, soudées. Oh, il n'est pas arrivé qu'avec son épouse aux Etats-Unis, ses frères et sœurs ont suivis. Des avocats, des cuisiniers, des hommes et femmes d'affaires, des commerciaux, les "Reid" (ou plutôt les MacLeod) ont toujours eu ce talent pour le blabla, pour enfumer les autres, leur raconter ce qu'ils veulent. Parfois juste pour emmerder le monde. Ce talent pour se mettre dans les ennuies aussi quand leur bobards ne prenaient plus.

Puis Delacroix est apparu comme la cible idéale, la ville idéale, le lieu où ils feraient leur vies. Emmener son épouse n'a pas été simple et à vrai dire, elle n'est pas restée là-bas très longtemps. Leur relation a toujours été complexe. Elle le trompait avec ses collègues, ses amis, pour l'emmerder. Ils se cognaient pour s'engueuler comme pour se dire qu'ils s'aimaient et tout recommençait encore et encore. Un jeu malsain entre eux, elle le cherche constamment, il est trop stupide pour ne pas répondre et divorcer enfin pour avoir la paix. Ils n'ont jamais eu d'enfants, ce qui a rendu leur relation plus compliquée et a rendu Rory au fil des années plus amer, plus froid. Il avait ce manque, cette envie d'être père. Le fait que son épouse le savait mais a choisi de l'épouser tout de même pour lui faire regretter toute sa vie cette absence d'enfant, cela a été la plus difficile des trahisons à supporter ; pas même de trouver d'autres hommes dans leur lit conjugale.

Il a compensé. Avec le travail. Ce qui n'a pas été simple de mettre la main sur les mafieux, pourtant, les MacLeod connaissaient bien la mafia, ils avaient grandis dedans, c'était même cliché ; c'était dans leur sang irlandais. C'était cliché, des irlandais mafieux et pourtant. Ils ont voulus laisser ça derrière eux en venant aux Etats-Unis mais ça ne les aura pas empêché de naître là-dedans, grandir là-dedans et finalement, vouloir y retourner d'une manière ou d'une autre.

La logique même, direction Brooklyn rejoindre les irlandais et potentiels écossais de New York. Un patriotisme admirable en somme, les autorités qui ne semblaient pas dire grand chose ou pouvoir y faire grand chose. Pourtant ils ne seront jamais considérés, lui et sa fratrie, comme s'ils étaient des leurs et ça même s'ils venaient tout droit d'Ecosse, parce qu'ils n'ont pas grandis là, parce qu'ils sont des pièces rapportées. Proposer ses services lui aura valu des railleries au départ. Qu'est-ce qu'un écossais foutrait avec eux ? Mettre sa fierté de côté n'a pas été simple mais le gain à la fin le valait bien. Rory avait déjà tué. Il pouvait le refaire, il suffisait d'un nom. Il avait tué la première fois l'amant de sa mère à ses 14 ans, celui-ci la violentait. Curieuse ironie quand on voyait son propre couple mais avec la mère, c'est jamais pareil. Il n'avait pas hésité à trouver le fusil et exploser la tête de l'homme et les regrets n'étaient jamais arrivés, même dix, même quinze, même vingt ans après. Un fil avait sauté dans sa caboche ou alors le fil n'avait jamais été connecté, il n'avait pas eu de remords. Ses frères et sœurs avaient débarrassés le corps, ça les avait plus que jamais soudé. Il avait bossé pour la mafia jusqu'à ses 25 ans avant de partir aux USA, à New York plus précisément, avec une nouvelle identité. Des choses horribles, qu'on ne raconterait jamais à ses enfants même pour leur faire peur de s'allier avec n'importe qui. C'est un de ses problème ; il ne culpabilise pas. Il ne sait pas.

Les choses se sont faites grâce à ça. Il était là au bon moment. Il servait d'œil, d'oreille, de main, de tête. On lui trouvait un boulot comme il faut, comme on dit, comptable. Pas de vrai diplôme, pas de vraies études mais l'envie de se débrouiller, de survivre dans cette jungle et s'adapter à tout. Apprendre à créer de faux papiers pour les immigrés, de fausses identités, de faux passeports, de faux permis. Il était utile, avait le sens du détail et ne ployait pas face aux menaces des flics en tout genre, même sous la contrainte, même sous la violence physique, il ne ployait pas. On estimait pouvoir lui faire confiance, tout en vérifiant tout de même. Il n'est jamais qu'un étranger écossais, il n'est pas né à Brooklyn, n'a pas grandi là comme les autres. De surcroît il était blanc, il passait partout, il était de ceux qu'on arrête pas dans la rue et dont on ne se méfie pas, chose dont il profitait allègrement pour transporter contre de l'argent des objets de valeur, parfois même des objets volés, de la drogue mais la plupart du temps, il s'agissait de faux papiers d'identités.

Puis, il y a eu l'histoire de trop, le coup d'éclat de trop et Rory a du se tirer avec sa grande fratrie. Les fusillades de trop, les bastons de trop, les gangs qui s'imposent et Brooklyn qui souhaite se refaire une réputation. Ils voyaient leur fin arriver, c'était l'heure de plier bagage et c'est ce qu'ils ont fait. Ils sont partis pour la dernière ville à la con qu'ils trouveraient aux USA sur une map, c'était Delacroix. Inconnue au bataillon, c'était parfait. Voilà une année maintenant qu'ils y sont, qu'ils se sont établis. Pas dis qu'on ne les retrouve pas un jour mais ils ont repris leur vraies identités, ils se sont fait de nouveaux papiers, des cartes grises notamment. On ne pourrait presque pas les soupçonner.

Sa femme ? Laissée à Brooklyn. Sa fratrie ? Divisée aux quatre coins des USA. Lui ? Une envie de se refaire, assez malin pour trouver ce poste de professeur de mathématique, rien d'insurmontable, se faire discret ici pendant quelque mois ou quelque années ne lui paraissait pas si fou que ça.